Toulon : de la rue Pierre Sémard à la Rue des Arts, un montage public-privé pour faire le pari de la reconquête des rez-de-chaussée

Mai 2017 : la « Rue des Arts » est inaugurée, et de mémoire de toulonnais, on n’avait pas connu une telle affluence dans le centre ancien depuis bien longtemps ! L’histoire commence au début des années 90, à la mise en œuvre par la collectivité, via la SEM V.A.D. (Var Aménagement Développement), d’une stratégie de maîtrise foncière des immeubles de la Rue Pierre Sémard au travers de préemptions systématiques sans projet précis à l’horizon.

Nous sommes dans le centre de Toulon et plus précisément dans le quartier d’arrière-port encore marqué par son nom de baptême d’après-guerre : « Chicago », héritage de sa vocation d’accueil des sorties nocturnes des marins. Au-delà de la réputation sulfureuse de la rue Pierre Sémard, sa transformation s’inscrit dans le Projet de Rénovation Urbaine du Centre Ancien de Toulon qui débute en 2006. En effet, la Rue Pierre Sémard souffre alors, à l’instar du Centre ancien dans son ensemble, d’une forte dégradation de l’habitat et d’un manque d’attractivité -notamment due à la concurrence d’un centre commercial doté d’un hypermarché, installé en lisière du centre ancien depuis le début des années 90.

C’est dans ce contexte que le projet de la Rue des Arts émerge, en 2011, de la rencontre entre une ambition de reconquête portée par la puissance publique et d’un concept porté par un acteur privé, Jacques Mikaélian (société CARIM, Conseil Assistance Réalisation Immobilière) qui, à titre personnel, souhaite créer une galerie d’art. Ce concept commercial autour de l’art et du design vient s’imbriquer avec le projet de la Place de l’Équerre qui prolonge la Rue des Arts dont la rénovation est alors à l’agenda.

Le projet repose sur un montage tripartite, CARIM pour la majorité la SAEM VAD et la Caisse des Dépôts. La SCI a ainsi acheté 25 lots à la Ville et à la SAEM VAD, essentiellement en rez-de-chaussée, a assuré les travaux) et la commercialisation. Sans plan de merchandising pré défini, mais avec l’idée d’une organisation autour de trois pôles : art, design et art de vivre. « La cohérence d’ensemble s’est finalement faite assez naturellement », selon Jacques Mikaélian, notamment autour d’une image unique portée par une charte graphique et une communication assurée par la SCI qui s’est adjointe les services d’une agence d’événementiel. Pour attirer des artistes, commerçants et artisans dans cette rue qui ne fait alors rêver personne, un système de loyers progressifs est mis en œuvre. En contrepartie, les porteurs de projets adhèrent, à la signature de leur bail, à un cahier des charges concernant par exemple l’amplitude des horaires d’ouverture y compris de manière ponctuelle en soirée.

Car c’est bien l’animation qui est la clef de voute du projet. En effet, la Rue des Arts -et la Place de l’Équerre qui accueille 3 bars- viennent créer une destination dans un secteur qui peinait jusqu’alors à capter le chaland notamment le soir : « si on ne fait pas venir des gens en centre-ville avec des arguments extérieurs à l’acte d’achat ils ne viendront pas » résume Jacques Mikaélian pour insister sur l’importance de cette stratégie d’animation. Exposition photographique à ciel ouvert, soirées spéciales, concerts …  L’organisation des événements reposent aujourd’hui sur la SCI qui réunit régulièrement les commerçants pour mettre sur pied le programme d’animation. Les occupants ont vocation à terme à se réunir en association à même de porter la dimension évènementielle, y compris à moyen terme, en s’auto finançant.

Moins d’un an après son inauguration le succès d’estime de la Rue des Arts est indéniable de même que sa capacité à participer au renversement d’image du Centre Ancien de Toulon. Reste à pérenniser la fréquentation des commerces afin de garantir le succès économique aux porteurs de projets qui ont participé à ce pari. Reste également à analyser à long terme la capacité du projet à agir en locomotive pour le Centre Ancien. Quelques mois après son lancement, l’attention qu’il focalise attire parfois les remarques goguenardes des commerçants alentours. Le travail en cours de la SCI sur l’animation commence à porter ses fruits : des partenariats sont en cours avec des commerçants extérieurs, la dynamique s’étend progressivement.

Si le projet de la Rue des Arts ne s’avère pas reproductible, il repose sur une conjoncture et une logique d’acteurs éminemment locales, il permet néanmoins à ce stade de tirer quelques enseignements.

En premier lieu, la logique d’ensemble à l’échelle d’une rue et d’une place permet un système de péréquation, via des loyers différenciés selon le type d’activité, à même d’accueillir des structures potentiellement plus fragiles. À l’heure de la prise de conscience générale du risque de « franchisation » de nos centres-villes, cette capacité à accueillir des porteurs de projets indépendants (et/ou développant leur premier projet) s’avère être un des grands enjeux. Nous pensons également judicieux de retenir de cet exemple toulonnais l’importance donnée à l’animation, reprenant les codes des centres commerciaux (thématisations périodiques, communication uniforme etc.) pour faire vivre des rez-de-chaussée. Cet exemple illustre en outre l’intérêt de la reconquête urbaine par l’art, entendu au sens large, et sa capacité à créer un lieu de destination. Sur ce sujet, le débat reste au demeurant entier quant à la transformation sociale que peut susciter ce parti-pris : les transformations du centre Ancien de Toulon font grincer les dents des nostalgiques du « Chicago » d’antan.

En attendant, nous jetterons régulièrement un œil du côté de la Rue des Arts : dans les mois à venir les quelques rez-de-chaussée restant seront commercialisés, dont un grand local en proue de Rue. En juin prochain la Rue des Arts sera un des hauts lieux du Festival de Design de Toulon, il paraît que les soirées sont longues Place de l’Équerre !